Interview du Monde :
Dominique A : "Je suis au summum de ma popularité musicale" LE MONDE | 25.11.09 |
Le nom de Dominique A figurait curieusement dans la sélection du prix Constantin, décerné le 9 novembre par un jury de journalistes et
de disquaires pour récompenser la
"révélation" de l'année. Bredouille, le Bruxellois d'adoption est reparti en tournée pour
défendre un des répertoires français les plus consistants, enrichi d'un album pop séducteur,
La Musique. Il joue et chante au Casino de Paris le 26 novembre.
Comment avez-vous accueilli votre nomination au prix Constantin ?
J'étais un peu vexé d'être perçu comme un éternel
"talent émergent", mais il faut voir aussi que ce prix a permis de mettre mon disque en
avant. Je n'ai donc considéré que l'aspect petit soldat de promotion. Le prix Constantin traduit tout de même l'ignorance d'une partie des
médias à partir du moment où la musique n'est pas validée par un succès de masse. Je me souviens avoir fait un entretien avec le
"spécialiste de la chanson française" d'une radio du Sud-Ouest. Le type m'avait découvert avec
L'Horizon, mon septième album, et m'a demandé :
"Où sont passés les six autres ?"C'est aussi vous renvoyer à la case départ.Je n'ai pas répondu aux attentes du grand public. Mes chansons ont répondu à un désir jusqu'au milieu des années 1990 ; aujourd'hui, elles
correspondent à une niche. Il y a des moments où ça me déprime, quand je m'aperçois que je joue dans la même salle qu'il y a quatorze ans.
Pour cette tournée, j'ai souhaité casser la routine en allant dans des centres culturels et des théâtres, donc plutôt devant des abonnés. Je
suis là pour présenter ce que je fais, pas pour convaincre à tout prix.
Vos collaborations pour des chanteurs de variété ont-elles permis d'élargir votre public ?Ecrire pour Calogero ou Elsa est une façon de gagner sa vie. Leur public ne va pas écouter mes disques pour autant. Marcel Kanche a écrit
Qui de nous deux ? pour M. Qui le sait, alors que c'est un standard ? Ce défi m'a rassuré sur ma capacité à aller vers les gens.
Je me suis souvent dit que ce qui pouvait faire barrage à mes chansons, c'était peut-être moi. En même temps, être en retrait me
permet d'être productif sans avoir la pression d'un succès à valider.
Ce succès, vous l'avez pourtant eu en 1995 avec "Le Twenty Two Bar", que vous avez aussitôt renié...Si j'avais continué dans cette voie, ça n'aurait pas duré longtemps : si tu prends l'autoroute, gare au péage... Il y avait une forme de
vanité, mais aussi un réflexe de survie artistique. C'est un courage qui n'en est pas un car on ne peut pas faire autrement.
"L'Horizon", "La Musique"... Vos récents titres peuvent passer pour simplissimes comme pour le comble de la prétention.La Musique est un titre tellement banal et générique qu'il en devient intrigant. Je voulais d'abord remettre l'accent sur mon
activité première et rompre avec les morceaux fleuves de
L'Horizon. Ce disque est un peu le frère ennemi du précédent, mais pas un
reniement. Il fallait recentrer sur le plaisir du chant, avec un peu de désinvolture, sans chercher le mot juste à tout prix.
Pour moi, l'activité de chanteur est physique et corporelle avant d'être intellectuelle. Même s'il y a des malentendus que j'ai
entretenus moi-même. Cela dit, il suffit de citer deux livres pour passer pour un intellectuel.
A 41 ans, après avoir flirté avec le symphonisme, assumez-vous pleinement vos amours musicales de jeunesse ?
Chaque disque est le fruit d'une lubie, une façon de reconstituer une discothèque en fonction de ma voix. Là, c'est la musique
synthétique. J'ai racheté
Architecture & Morality, le disque d'Orchestral Manoeuvres in The Dark, avec
Souvenir, la musique de la BNP, pour m'en inspirer. Je voulais des mélodies pop de série B, des textures sonores caricaturales des groupes new wave des années 1980 comme Ultravox, mais faites avec affection. Cette sous-culture est très forte chez moi. Il était jubilatoire d'y revenir dans un contexte de tout-acoustique. C'est une opposition à un néo-conformisme, l'idée que l'acoustique est gage d'authenticité. Or, les guitares sèches sont fabriquées dans les mêmes usines que les synthés, à Taïwan.
La chanson "Immortels" était destinée à Alain Bashung. Quand on évoque ses possibles héritiers, votre nom apparaît souvent.
C'est très flatteur, mais il y a une grosse différence : Bashung était un artiste populaire. Si je suis proche de lui dans le
fonctionnement, je prends plus le chemin d'un Gérard Manset, qui racontait que quand il appelait la Sacem, on lui demandait d'épeler son nom.
Je suis une partie immergée de l'iceberg underground. Et je m'aperçois bien que je suis au summum de ma popularité musicale. Quand
on n'est pas spécifiquement dans l'époque, l'époque vous le rend bien.